ELLE. « Bullhead » est votre film fondateur. Vous avez passé cinq ans de votre vie à construire ce personnage d’homme taureau. est-ce que vous avez mis autant de temps à l’évacuer ?
Matthias Schoenaerts. Il est évident que si « Bullhead » n’avait pas marché, j’aurais changé de métier. J’avais tout donné, le projet était radical, absolu, puissant, lourd, pas sexy à vendre, difficile à monter. Quand je l’ai vu, j’ai reçu une claque. On dit toujours : « On entre dans la peau de… » Moi, je pense que c’est l’inverse, on laisse des éléments du personnage entrer sous sa propre peau. Ces éléments composent un ADN temporaire. On ne sait jamais quand ça s’arrête. Mon personnage dans « Bullhead » existe toujours dans mon coeur.
ELLE. Ce film a provoqué une déferlante Matthias Schoenaerts au cinéma. Comment le vivez-vous ?
Matthias Schoenaerts. Ça fait peur. Le problème est que tous les films sortent en même temps. Ça me fracasse parce que je trouve que chaque oeuvre, chaque performance doit avoir le temps d’exister. C’est comme un peintre qui fait cinq expositions par an. C’est ridicule ! Donc ça me perturbe un peu. Mais je n’y peux rien. Le système veut ça.
ELLE. Vous avez 37 ans. Comment considérez-vous le succès ?
Matthias Schoenaerts. Je sais qu’à 18 ans je n’aurais pas été capable de l’assumer. Donc il arrive au bon moment. Je n’aime pas regarder en arrière et analyser ce qui se passe. Je me laisse transporter par les événements. Je considère que le jeu se trouve dans l’abandon : juste avancer, respirer, continuer à bouger. Comme un boxeur sur un ring. Quand il prend un coup, il ne doit pas réfléchir, il doit continuer le combat. C’est exactement ce que je fais.
ELLE. Votre père, Julien Schoenaerts, immense acteur de théâtre flamand, est décédé en 2006. Regrettez-vous qu’il n’ait pas assisté à votre succès ?
Matthias Schoenaerts. Pas du tout. C’est quoi le succès ? Un truc éphémère. A la fin de sa vie, on ne parlait jamais du métier. On était dans une relation de partage intime, profond, intense. J’aurais aimé qu’il soit là pour d’autres raisons, certainement pas pour partager mon succès.